L'artiste
Viyé Diba a souvent ces mots à la bouche : c'est extraordinaire,
c'est merveilleux, incroyable
Et justement mes premiers mots
pour tenter de décrire l'exposition spectacle Ngor - Ouakam
- Yoff sont ceux-ci : extraordinaire, merveilleux, incroyable, étonnant,
émouvant
En
ce mois de mai 2002, à Dakar, Viyé Diba nous communiqua
son art ainsi
Propos
:
Viyé
Diba investit un terrain en plein air de 1500 m3, nu encore à
peine une semaine avant l'ouverture, le met en scène, l'occupe
avec ces personnages - passagers de Kar Rapid
Et le temps d'une performance, il insuffle littéralement vie
à l'uvre en donnant à ces sculptures-personnages
de chiffons cousus de sa main un contenu humain.
A
lire le synopsis de l'uvre d'art, l'artiste nous instruit sur
son propos premier : la mise en parallèle de l'univers du Kar
Rapid et d'internet
La confrontation des deux univers nous
amène à découvrir des analogies : un espace de
communication, un langage propre
Il invite le public à réfléchir sur la créativité
des populations qui s'approprient le Kar, produit importé pour
en faire un objet tactile, vivant, original, pur produit de création
: le Kar Rapid décoré et réparé à
l'aide de matières insolites.
L'artiste
va plus loin que cette simple confrontation
Il pousse la représentation
plastique hors de ces dernières limites en restant à
distance des représentations parfois stériles, distantes
et froides d'un art contemporain trop souvent élitiste.
Mise
en espace :
Penchons
nous sur le terrain, avant le spectacle
Terrain rectangulaire
Attachons nous aux éléments structurants de l'uvre.
A
droite de l'espace, un Kar Rapid construit de planches de bois
Il est occupé : des personnages de tissus aux armatures de
bois, personnages décuplés à l'infini - ou presque
- par le jeu des miroirs. Nous sommes au complet où presque
- autant qu'on puisse l'être dans ces Kars où une personne
de plus peut toujours voyager .
Il est plus vrai que nature : passagers, femmes aux coiffures savamment
élaborées et aux ornements colorés, chauffeur,
dessins aux couleurs vives naissant le soir du premier jour de performance
sur la carrosserie, lanternes noires allumées à la nuit
tombée - lanternes qui guideront les autres passagers
C'est un univers plein de vie où la touche de l 'artiste est
reconnaissable : personnage à la silhouette et à l'attitude
suggérées, usage de tissus ayant subi le passage du
temps
Aux
" cimaises " du terrain, des tapis en plastique familiers
des intérieurs sénégalais aux couleurs vives.
Au
fond, l'artiste inclut un dispositif, une installation sous un chapiteau
dans l'uvre elle même : assemblage saisissant et composite
d'uvres, de photographies, d'objets
Il créée
là un microcosme reflétant la rue Dakaroise, l'animation
des villes africaines. Viyé Diba s'approprie la rue, la vie
Sur
la gauche de l'espace, une autre tente héberge un dispositif
vidéo diffusant des scènes de vie Dakaroise et de Kar
Rapid
Et
encore à gauche, en entrant, un Kar Rapid réalisé
de planches de bois à la carrosserie déstructurée
: tréteaux de théâtre pour la troupe Sénégalaise
7 Kouss qui jouera le soir de la performance des scènes de
vie des Kar Rapids.
Silhouettes
à terre :
L'uvre
est parsemée au sol, sur la terre battue, de ces sculptures-personnages
de chiffons inertes cousus de la propre main de l'artiste ou de toile
de sac.
D'autres silhouettes - cette fois ci de pierre sont à terre
: personnages de pierre peinte en noir ou rouge ou de pierre claire.
Toutes ces formes humaines rappellent aux initiés de l'uvre
de Viyé Diba les personnages peints de ses uvres sur
toile.
La présence des uvres à terre est dans la continuité
de l'art " kangourou " de Viyé Diba dont les poches
de tissus figurant en bas des toiles sont conçus par l'artiste
comme autant de charges qui ramènent vers l'énergie
de la terre
Pour l'artiste, la terre est la substance nourricière
de la culture africaine à l'image de la sculpture où
le caractère des pieds est comme exagéré ou de
la danse dans laquelle le contact avec la terre est marqué.
Et
puis il y a des châssis, sortes de cadres en bois nu surplombant
les masses de ces corps installés au sol. A regarder de près
l'orientation des personnages, nous voyons qu'ils sont sortis de leurs
cadres, de leurs toiles, du support. Le contenu de ces cadres est
à terre et le support de toile traditionnel a laissé
place à la terre.
Le
soir de la performance les personnages de chiffons prendront vie :
l'artiste vêt des êtres humains de ces personnages de
tissus.
L'humain deviendrait - il support, contenu de l'uvre ?
Non.
C'est ici qu'il faut laisser de côté la conception historique
occidentale d'un support autonome du contenu.
Viyé Diba nous livre l'un des fruits de ses recherches. En
Afrique, le support est matière. Il a un caractère participatif,
il est intégré à l'uvre.