Enquête sur la création :
Les
enfants soldats :
Cette
uvre s'inscrit dans un projet de peinture.
C'est
une "personne" qui me hante depuis longtemps.Avant
les enfants, j'ai eu à travailler sur le thème de la
guerre : en général mais aussi concernant l'Afrique.
L'idée
des enfants soldats est née d'une conversation fortuite sur
ce qui avait marqué l'Afrique au cours des dix dernières
années mais les enfants " m'habitaient " déjà,
étaient en moi.
Ils correspondent à ma vision du monde, des choses. Contre
la barbarie, les " enfants " sont comme un " crachat
de sorcier ", une malédiction contre ceux qui touchent
aux enfants : " si vous touchez aux enfants, vous serez maudits
".
Dans
cette uvre, j'ai pris une option au niveau du style, de la matière.
Je ne voulais pas que ma griffe picturale prédomine.
J'ai juxtaposé une uvre picturale existante à
autre chose suivant le processus du peintre qui opère un glissement
vers un autre média.
J'ai
laissé surgir ce que les enfants remuaient en moi : un univers
mécanique et de métal.
Le
métal :
Le
métal est déjà une thématique que j'avais
développée, il s'inscrit dans toute ma démarche.
Il renvoie au feu, au sang.
Le métal me projette aux origines lointaines de l'homme : au
feu qu'on a volé aux Dieux, feu qui maîtrise le métal,
au forgeron qui sacrifie, qui a besoin de sang pour travailler sa
forge.
Depuis l'uvre rouge qui est intégrée à
l'uvre des enfants, le métal est le substitut à
certains objets que je fabrique moi-même comme les amulettes.
Il répond
au besoin que je sens de créer du relief tout en s'intégrant
par la couleur sans être un élément étranger.
L'apparition
du métal dans les " enfants " procède donc
d'un travail commencé en dehors de l'installation. Seulement
l'installation les " enfants " m'a permis de développer
cette thématique.
Si le métal est plus présent que dans la toile rouge,
finalement il s'intègre tout autant.
Je n'étais pas aussi porté sur le métal avant
"les enfants", je redécouvre le matériau.
A noter
: Les enfants soldats est une uvre qui a été présentée
à Lille lors de "La saison africaine" en septembre
2000 et à Abidjan du 9 au 26 mai 2001.
Le
travail actuel : électrotechnique et décryptage des
codes
L'art
contemporain invente ses propres règles.
Ce n'est pas une question d'indépendance intrinsèque
de l'artiste.
C'est
une question d'indépendance de l'artiste par rapport à
son travail.
Je n'hésite pas quand quelque chose me traverse l'esprit. Je
me garde d'avoir un esprit conservateur et suis prêt à
pirater d'autres disciplines.
En l'occurrence
le point de départ de mon travail actuel présenté
est ma fascination pour le monde électrotechnique et par sa
complexité.
J'ai
été surpris par l'évolution de mon travail.
Au fur et à mesure, est venu le sens profond de l'uvre.
J'avais
l'impression de dévoiler un secret, d'avoir l'intention de
mettre à nu quelque chose
dans la continuité
de ma démarche. Toute l'ambiguïté vient de là
: tendre au dévoilement tout en cultivant le mystère.
Certaines
choses apparaissent dans l'uvre mais tous les codes ne sont
pas forcément déchiffrables, certains peuvent se vouloir
originaux comme le code couleur dans cette uvre.
L'uvre
doit se décrypter.
Le
naufrage :
C'est
la représentation d'un éclatement qui débouche
sur un naufrage : cela peut référer à toute sorte
de débordement, toute sorte d'annihilation.
Les matériaux
juchent l'espace : des éléments liés au naufrage
des bateaux.
Tout est en branle, sans dessus - dessous, en éclats, en débris,
abandonné
Deux espèces de personnage hantent l'espace. On attend. Tout
semble soutenu par ces personnages.
En arrière plan, c'est le Christ. L'autre personnage est une
femme sortie d'une légende, une femme sans vie.
Le naufrage
c'est normalement la fin mais ici c'est le salut, le refus de cette
fin : symbolisée par la présence de ces deux personnages.
A noter
: Cette uvre a été présentée à
Accra au Ghana en 1999 lors de l'exposition "South meet West".
Le
rapport à la matière :
Les matériaux
dans cette uvre montrent que mon rapport à la matière
est prépondérant dans mon travail.
La matière
donne de la présence aux choses : bois, matériaux ou
objets récupérés à la casse ou achetés
au marché ou trouvés
Les enfants
soldats n'auraient pas cette armature de chevron et de bois s'il n'y
avait pas eu le naufrage.
Ma toile
de prédilection, mon support est la toile de jute sans terre,
sans couleurs, à nu.
Je pratique la nudité depuis un moment.
La terre
c'est l'idée par rapport à la matière que je
revendiques. Cet élément apparaît comme naturel.
La capacité de s'approprier cette matière, de lui donner
une âme est tout à fait impressionnant.
J'utilise la terre dans toutes les uvres mais peut-être
de moins en moins. Je pense que c'était inévitable.
La terre, c'est pour moi le retour à la nature, à la
rue, un héritage de ce moment passé au Vohou où
tout pouvait servir à des fins expressives.
Genèse
de l'uvre, l'alchimie du créateur :
L'uvre
est toujours une incitation à une autre uvre. Une uvre
a toujours pour origine une uvre antérieure, trouve toujours
ses prémisses dans un travail précédent.
L'uvre
naît de l'état d'âme du moment, de l'environnement
et des souvenirs.
Lorsque j'étais à Accra j'étais préoccupé
par la situation politique en Côte d'Ivoire après le
coup d'état, par les sentiments développés lors
de mon récent voyage en Afrique du Sud, et puis la période
de Noël.
Et au
Ghana, à Accra, lorsque j'ai réalisé l'uvre
la proximité d'une église a influencé mon travail.
Je n'ai
pas pensé un seul instant au Radeau de la Méduse de
Delacroix.
L'eau
symbolise le voyage, la noyade, la mort, la déportation et
la mort sur une terre nouvelle comme à Gorée, idée
sur laquelle j'avais voulu travailler.
L'eau, le feu, le sang : c'est toujours l'origine.
Les idées
font du chemin, germinent : c'est ça l'alchimie du créateur.
Propos recueillis par : Sylvie Le Gall - Octobre 2001
Pour
en savoir plus sur Yacouba Touré voir le
sommaire des documents Ars Ante Africa sur l'artiste.