Nomadisme culturel :
Interview de Yacouba Touré - Octobre 2001 ( 3/3 )

Sommaire de l'interview :

Un artiste est né ( 1/3 )
En quête de création
( 1/3 )
L'artiste dans le monde de l'art contemporain ( 2/3 )
Enquête sur la création ( 3/3 )
Le rapport à la matière ( 3/3 )
La genèse de l'oeuvre ( 3/3 )


Enquête sur la création :

Les enfants soldats :

Cette œuvre s'inscrit dans un projet de peinture.

C'est une "personne" qui me hante depuis longtemps.Avant les enfants, j'ai eu à travailler sur le thème de la guerre : en général mais aussi concernant l'Afrique.

L'idée des enfants soldats est née d'une conversation fortuite sur ce qui avait marqué l'Afrique au cours des dix dernières années mais les enfants " m'habitaient " déjà, étaient en moi.

Ils correspondent à ma vision du monde, des choses. Contre la barbarie, les " enfants " sont comme un " crachat de sorcier ", une malédiction contre ceux qui touchent aux enfants : " si vous touchez aux enfants, vous serez maudits ".

Dans cette œuvre, j'ai pris une option au niveau du style, de la matière. Je ne voulais pas que ma griffe picturale prédomine.
J'ai juxtaposé une œuvre picturale existante à autre chose suivant le processus du peintre qui opère un glissement vers un autre média.

J'ai laissé surgir ce que les enfants remuaient en moi : un univers mécanique et de métal.

Le métal :

Le métal est déjà une thématique que j'avais développée, il s'inscrit dans toute ma démarche.
Il renvoie au feu, au sang.
Le métal me projette aux origines lointaines de l'homme : au feu qu'on a volé aux Dieux, feu qui maîtrise le métal, au forgeron qui sacrifie, qui a besoin de sang pour travailler sa forge.
Depuis l'œuvre rouge qui est intégrée à l'œuvre des enfants, le métal est le substitut à certains objets que je fabrique moi-même comme les amulettes.

Il répond au besoin que je sens de créer du relief tout en s'intégrant par la couleur sans être un élément étranger.

L'apparition du métal dans les " enfants " procède donc d'un travail commencé en dehors de l'installation. Seulement l'installation les " enfants " m'a permis de développer cette thématique.
Si le métal est plus présent que dans la toile rouge, finalement il s'intègre tout autant.
Je n'étais pas aussi porté sur le métal avant "les enfants", je redécouvre le matériau.

A noter : Les enfants soldats est une œuvre qui a été présentée à Lille lors de "La saison africaine" en septembre 2000 et à Abidjan du 9 au 26 mai 2001.

Le travail actuel : électrotechnique et décryptage des codes

L'art contemporain invente ses propres règles.
Ce n'est pas une question d'indépendance intrinsèque de l'artiste.

C'est une question d'indépendance de l'artiste par rapport à son travail.
Je n'hésite pas quand quelque chose me traverse l'esprit. Je me garde d'avoir un esprit conservateur et suis prêt à pirater d'autres disciplines.

En l'occurrence le point de départ de mon travail actuel présenté est ma fascination pour le monde électrotechnique et par sa complexité.

J'ai été surpris par l'évolution de mon travail.
Au fur et à mesure, est venu le sens profond de l'œuvre.

J'avais l'impression de dévoiler un secret, d'avoir l'intention de mettre à nu quelque chose … dans la continuité de ma démarche. Toute l'ambiguïté vient de là : tendre au dévoilement tout en cultivant le mystère.

Certaines choses apparaissent dans l'œuvre mais tous les codes ne sont pas forcément déchiffrables, certains peuvent se vouloir originaux comme le code couleur dans cette œuvre.

L'œuvre doit se décrypter.

Le naufrage :

C'est la représentation d'un éclatement qui débouche sur un naufrage : cela peut référer à toute sorte de débordement, toute sorte d'annihilation.

Les matériaux juchent l'espace : des éléments liés au naufrage des bateaux.
Tout est en branle, sans dessus - dessous, en éclats, en débris, abandonné …
Deux espèces de personnage hantent l'espace. On attend. Tout semble soutenu par ces personnages.
En arrière plan, c'est le Christ. L'autre personnage est une femme sortie d'une légende, une femme sans vie.

Le naufrage c'est normalement la fin mais ici c'est le salut, le refus de cette fin : symbolisée par la présence de ces deux personnages.

A noter : Cette œuvre a été présentée à Accra au Ghana en 1999 lors de l'exposition "South meet West".

Le rapport à la matière :

Les matériaux dans cette œuvre montrent que mon rapport à la matière est prépondérant dans mon travail.

La matière donne de la présence aux choses : bois, matériaux ou objets récupérés à la casse ou achetés au marché ou trouvés …

Les enfants soldats n'auraient pas cette armature de chevron et de bois s'il n'y avait pas eu le naufrage.

Ma toile de prédilection, mon support est la toile de jute sans terre, sans couleurs, à nu.
Je pratique la nudité depuis un moment.

La terre c'est l'idée par rapport à la matière que je revendiques. Cet élément apparaît comme naturel. La capacité de s'approprier cette matière, de lui donner une âme est tout à fait impressionnant.
J'utilise la terre dans toutes les œuvres mais peut-être de moins en moins. Je pense que c'était inévitable.
La terre, c'est pour moi le retour à la nature, à la rue, un héritage de ce moment passé au Vohou où tout pouvait servir à des fins expressives.

Genèse de l'œuvre, l'alchimie du créateur :

L'œuvre est toujours une incitation à une autre œuvre. Une œuvre a toujours pour origine une œuvre antérieure, trouve toujours ses prémisses dans un travail précédent.

L'œuvre naît de l'état d'âme du moment, de l'environnement et des souvenirs.
Lorsque j'étais à Accra j'étais préoccupé par la situation politique en Côte d'Ivoire après le coup d'état, par les sentiments développés lors de mon récent voyage en Afrique du Sud, et puis la période de Noël.

Et au Ghana, à Accra, lorsque j'ai réalisé l'œuvre la proximité d'une église a influencé mon travail.

Je n'ai pas pensé un seul instant au Radeau de la Méduse de Delacroix.

L'eau symbolise le voyage, la noyade, la mort, la déportation et la mort sur une terre nouvelle comme à Gorée, idée sur laquelle j'avais voulu travailler.
L'eau, le feu, le sang : c'est toujours l'origine.

Les idées font du chemin, germinent : c'est ça l'alchimie du créateur.


Propos recueillis par :
Sylvie Le Gall - Octobre 2001

Pour en savoir plus sur Yacouba Touré voir le sommaire des documents Ars Ante Africa sur l'artiste.

 

 

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